Le renforcement des chaînes d’approvisionnement des produits de santé dans de nombreux pays à revenus faible et intermédiaire (PRFI) est essentiel pour atteindre la couverture santé universelle (CSU) d’ici 2030. Mais pour que les communautés reçoivent des soins de santé de qualité, elles doivent avoir un accès constant et abordable à des produits de santé de qualité. Par conséquent, lorsque les gouvernements des PRFI et leurs partenaires s’efforcent d’acheminer les produits vers les populations, ils doivent utiliser toutes les ressources et l’expertise disponibles dans le pays.
Il existe plusieurs façons d’engager le secteur privé lucratif afin de renforcer les chaînes d’approvisionnement dans le secteur de la santé publique (leverage the private sector). Chez VillageReach, nous pensons que l’intégration des distributeurs privés lucratifs des produits de santé dans le système national (intégration du secteur privé) est essentielle pour construire des chaînes d’approvisionnement dans le secteur de la santé publique qui soient performantes, équitables, centrées sur les personnes, résilientes et durables. L’intégration des distributeurs privés lucratifs dans le système national crée des efficacités et rend la chaîne d’approvisionnement plus résistante aux chocs.
Et nous ne sommes pas les seuls à le penser. L’Organisation Mondiale de la Santé a développé (the country connector) pendant la pandémie de la COVID-19 pour fournir aux pays des conseils pratiques pour engager le secteur privé, et de plus en plus des bailleurs de fonds investissent dans les collaborations public-privé. Dans de nombreux pays africains, les entreprises du secteur privé offrent déjà des services de santé par le biais des hôpitaux, des cliniques et des pharmacies, et permettent aux chaînes d’approvisionnement publiques de fournir des services tels que le transport et l’entreposage.
Tirer parti des distributeurs privés
Un autre domaine dans lequel les gouvernements des PRFI peuvent tirer parti des capacités du secteur privé est celui d’une bonne collaboration avec les distributeurs privés lucratifs des produits médicaux, avec les entreprises qui achètent et fournissent des médicaments aux hôpitaux, aux pharmacies et autres établissements de santé. Les défis globaux liés à l’engagement du secteur privé dans l’approvisionnement des produits de santé ne sont pas un sujet nouveau. Dans leur article de 2019, les auteurs Prashant Yadav et Amanda Glassman explorent les raisons pour lesquelles le circuit d’approvisionnement du secteur privé lucratif (c’est-à-dire le distributeur, le grossiste, le détaillant) est le plus souvent ignoré par les gouvernements des PRFI et les bailleurs de fonds comme stratégie pour soutenir la Couverture Santé Universelle (CSU) et élargir l’accès aux produits de santé.
Ne plus ignorer cette opportunité est non seulement important sur le plan stratégique mais aussi urgent pour l’Afrique.
L’Union Africaine a mis en place l’Agence Africaine des Médicaments (AMA) pour réglementer les médicaments fabriqués et distribués dans ses États membres. Les pays qui travaillent dès maintenant à l’intégration des distributeurs privés lucratifs seront mieux préparés à respecter les réglementations de l’AMA pour les produits de santé ainsi qu’à contribuer à l’élaboration de ces réglementations. Et avec le lancement de la zone de libre-échange continentale africaine, les distributeurs privés peuvent étendre leurs activités au-delà de leurs marchés nationaux pour accéder à des nouveaux clients sur tout le continent.
Pour les gouvernements et leurs partenaires désireux de tirer parti de cette opportunité, nous partageons les leçons apprises de notre première année de mise en œuvre du projet ‘’Distributeurs privés’’ en République démocratique du Congo (RDC).
Leçons tirées de la RDC
En septembre 2021, VillageReach a commencé à travailler avec le gouvernement de la RDC et ses partenaires pour réduire les obstacles qui empêchent les distributeurs privés lucratifs à participer aux marchés publics des produits de santé. (Voir la figure 1 ci-dessous).
Figure 1 : Feuille de route : Augmenter la participation des distributeurs privés lucratifs dans l’approvisionnement des formations sanitaires en produits de santé en RDC
Trois importantes leçons ont été apprises de la mise en œuvre du projet en RDC :
1. Les gouvernements devraient s’engager avec tous les distributeurs qualifiés
Pour mettre en place des chaînes d’approvisionnement performantes des produits de santé, le gouvernement doit examiner de manière holistique les différentes forces de tous les distributeurs fournissant des médicaments de qualité. Cela signifie à la fois des distributeurs à but lucratif et à but non lucratif. Auparavant, en RDC, les distributeurs privés à but lucratif étaient pour la plupart exclus en tant que fournisseurs des formations sanitaires publiques.
Même si certains distributeurs à but lucratif ont une plus grande capacité d’investissement et d’expansion que leurs homologues à but non lucratif, ils se limitaient à fournir des hôpitaux et des établissements de santé du secteur privé.
En RDC, les distributeurs privés à but non lucratif stockent et distribuent principalement des produits de santé pour des maladies spécifiques (telles que le paludisme, le VIH/SIDA, la tuberculose) ou des programmes spécifiques (planification familiale) par le biais de contrats avec les Partenaires Techniques et Financiers du gouvernement congolais. Par contre, pour les médicaments essentiels[1], ceux qui sont à la base des soins de santé primaires, sont souvent moins prioritaires pour ces distributeurs à but non lucratif. En mettant en évidence cette lacune et les contraintes des ressources existantes des distributeurs privés non lucratifs, nous avons pu aider le gouvernement, ses partenaires techniques et les entreprises privées à voir l’intérêt d’intégrer des distributeurs privés à but lucratif. Ceci pour améliorer la disponibilité et l’accessibilité des médicaments essentiels dans tous les hôpitaux et autres formations sanitaires (publics et privés) parce qu’en fin de compte, engager tous les distributeurs qualifiés signifie améliorer l’offre de services.
2. L’intégration a besoin d’un cadre juridique et règlementaire favorable
En RDC, la chaîne d’approvisionnement publique était gérée presque exclusivement par le gouvernement à travers un système de distribution public jusqu’à sa dissolution en raison de problèmes de financement en 2003. Depuis lors, un système composé principalement des distributeurs privés à but non lucratif (Le réseau FEDECAME) a été la principale source d’approvisionnement des établissements de santé publics. En plus de l’utilisation exclusive des distributeurs privés à but non lucratif en RDC, les lois de santé publique ne traitaient pas suffisamment des distributeurs à but lucratif, ce qui entravait leur participation.
Pour résoudre ce problème, nous avons travaillé en étroite collaboration avec le ministère de la Santé de la RDC afin d’élaborer le décret portant mesures d’application de la loi-cadre de 2018 sur la santé publique dans son volet approvisionnement. Ce décret, qui entrera en vigueur sous peu, réglementera la participation de tous les distributeurs, à but lucratif et non lucratif, en tant que fournisseurs des formations sanitaires. Mais pour en arriver là, nous avons dû construire une coalition des parties prenantes, y compris le ministère de la Santé et la Fédération des Entreprises du Congo ainsi que des partenaires clés de la chaîne d’approvisionnement tels que l’Ordre national des pharmaciens, pour soutenir un cadre juridique.
Grâce à des ateliers organisés aux niveaux national et provincial, et en mettant en exergue l’expérience du Projet de Développement du Système de Santé (PDSS), Projet financé par la Banque mondiale, en matière de participation des distributeurs privés lucratifs dans les marchés publics dans plusieurs provinces de la RDC, nous avons obtenu l’alignement des parties prenantes au projet. Ceci a milité pour la mise en branle du processus d’élaboration susmentionné pour guider et développer la participation des distributeurs privés lucratifs dans la chaîne d’approvisionnement publique.
En outre, nous travaillons au renforcement de l’Autorité congolaise de réglementation pharmaceutique (ACOREP), avec le financement de la Fondation Bill et Melinda Gates, pour accroître sa maturité en tant qu’autorité nationale de règlementation pharmaceutique (the WHO Global Benchmarking Tool).
Pour cela, nous entendons promouvoir un accès accru à des produits de santé sûrs, efficaces et de qualité. Selon la nouvelle législation, tous les distributeurs privés à but lucratif qui souhaitent approvisionner les formations sanitaires devront être certifiés par l’ACOREP (A ce jour, 17 entreprises privées ont reçu cette certification : 14 distributeurs et 3 fabricants).
3. Collaboration stratégique continue entre le gouvernement et les distributeurs privés
En RDC, peu d’employés du ministère de la Santé ont de l’expérience dans la gestion de relations continues avec le secteur privé. La pandémie de COVID-19 a accru ces interactions, car les distributeurs à but lucratif étaient souvent la seule source d’approvisionnement de certains produits de santé pendant celle-ci. Cependant, cette collaboration circonstancielle ; ne garantissant pas des relations durables, nous plaidons pour que le gouvernement et ces entreprises privées aient une collaboration intentionnelle continue, qui comprend des objectifs à plus long terme et des processus d’engagement clairs. Nous avons retenu que cela est essentiel pour motiver les distributeurs à but lucratif à investir en personnel et en ressources nécessaires et à élaborer des plans d’affaires qui s’alignent sur les priorités gouvernementales.
Construire des chaînes d’approvisionnement pour l’avenir
La couverture santé universelle dans les PRFI n’est pas possible sans de systèmes de santé résilients et des chaines d’approvisionnement en produits de santé adaptés. Les leçons tirées de notre travail en RDC peuvent aider d’autres pays à tirer parti de la participation des distributeurs privés lucratifs dans la chaîne d’approvisionnement publique. Engager tous les distributeurs est le meilleur moyen de faire parvenir les produits aux populations, car ce n’est que lorsque les communautés les plus difficiles à atteindre ont un accès fiable et cohérent aux produits de santé que nous pouvons dire que tout le monde, partout, a les soins de santé nécessaires pour prospérer.
Pour plus d’informations sur l’engagement du secteur privé de VillageReach, contactez Joseph Roussel, directeur de l’engagement du secteur privé, joseph.roussel@villagereach.org.
Pour des questions spécifiques sur notre travail en RDC. Vous pouvez aussi contacter martin.mahombisa@villagereach.orgetpatrick.cizungu@villagereach.org
A propos des auteurs :
Martin Mahombisa est le spécialiste de l’engagement du secteur privé chez VillageReach et travaille dans notre bureau en RDC et
Patrick Cizungu est le spécialiste de l’engagement gouvernemental chez VillageReach et travaille dans notre bureau en RDC.
[1] https://www.who.int/groups/expert-committee-on-selection-and-use-of-essential-medicines/essential-medicines-lists#:~:text=Essential%20medicines%20are%20those%20that ,à%20maladie%20prévalence%20et…